Épisode cévenol des 8 et 9 septembre 2002

 

A travers ce dossier personnel, je vais tenter de résumer, avec le plus de détails possibles, l'épisode cévenol exceptionnel qui a touché le sud-est de la France le dimanche 8 et le lundi 9 septembre 2002. Les départements concernés furent l'Hérault, le Vaucluse mais aussi et surtout le Gard.

Ayant été sur place exprès pour l'évènement (les orages étant pour moi une passion...), je retracerai étape par étape le déroulement des évènements, en apportant mon avis sur divers sujets. Tout sera traité ou presque (ne sont pas concernés ici l'hydrologie et les effets géomorphologiques, ou encore économiques), de la prévision du phénomène jusqu'à ses conséquences.

Ce dossier est agrémenté de nombreuses images et photos et est donc divisé en plusieurs pages.

J'avais pris une semaine de vacances, du 8 au 15 septembre. A la base, je devais partir dans les Alpes avec un ami pour une semaine "sport" en vtt comme l'année précédente (petit hors sujet: découvrez les photos de nos montées de cols en septembre 2001 en cliquant ici). Cela n'a pas pu se faire. Je me suis donc dis que s'il devait se passer quelque chose en météo dans le sud-est, j'irai sur place... et je ne suis pas descendu pour rien...

C'est en automne que les pluies sont les plus fréquentes sur les bords de la Méditerranée, plus particulièrement de septembre à novembre. A cette période de l'année, des masses d'air froid en altitude commencent à descendre du pôle nord et survolent une mer encore bien chaude, le contraste peut provoquer des inondations catastrophiques comme cela a été le cas les 8 et 9 septembre. On parle de pluie diluvienne sur un lieu donné à partir de 190mm (ou litres par mètre carré) d'eau en 24h. Sur cet épisode on a relevé jusqu'à 687mm en 24h à Anduze. En 1 an il tombe en moyenne 641.6mm d'eau sur Paris, 163mm de moyenne en septembre pour le Mont Aigoual et 67mm de moyenne pour septembre également à Nîmes. On a du mal à s'imaginer ce que peuvent représenter plusieurs centaines de millimètres en quelques heures, il faut le voir pour le croire. On peut comparer cet épisode du Gard à celui de l'Aude en novembre 1999, où il était tombé 620.2mm de pluie en 24h à Lézignan Corbières. Ces précipitations ont provoqué des inondations monumentales, le bilan fut lourd avec 23 morts et des dégâts matériels considérables. 295 communes ont été touchées dans le Gard comme en témoignent ces cartes provenant du journal "La semaine de Nîmes", merci à Muriel Maire pour sa collaboration:

Bassin versant du Vidourle:

Bassin versant du Gardon:

Bassin versant de la Cèze:

De nombreux ponts ont été détruits, rendant difficile la circulation et perturbant l'organisation des secours:

 

Tout à commencé le dimanche 1er septembre, au soir. Je me rappelle avoir consulté le modèle de prévisions américain AVN initialisé à 12h TU. Il prévoyait une situation propice à des pluies dans le sud-est 7 jours plus tard. A cette échéance il était bien trop tôt pour être certain que cela se produise, mais c'était une hypothèse de prévision. Tout au long de la semaine qui a suivi, j'ai consulté avec intérêt tous les modèles...

Je n'ai pu retrouver de cartes initialisées (fabriquées) le 1er à 12h, mais grâce à l'ami Bohlen, j'ai pu retrouver les prévisions du lendemain et des jours suivants (avec initialisation à 00h, source: weatheronline.co.uk).

Voici donc ci-dessous les prévisions du modèle AVN journée par journée pour cet épisode (j'ai choisi volontairement comme échéance le lundi 9 à 00h TU):

Prévision du lundi 2 (pour lundi 9 00h TU donc). On ne s'intéressera qu'aux lignes noires, indiquant la circulation des masses d'air à environ 5000m d'altitude (500 hPa).

On voit sur cette carte une dépression centrée sur les îles Britanniques et le nord-ouest de la France. Vu l'échéance lointaine, ce n'est qu'une tendance générale! Il ne faut pas traduire ce type de carte à la lettre lorsque cela est prévu pour dans plusieurs jours comme ici. Néanmoins, on peut voir que le flux est orienté au sud-ouest sur les régions méditerranéennes (en suivant les lignes noires), une telle situation n'exclue pas des pluies dans ces régions...

Maintenant la prévision du mardi 3 (toujours pour la même échéance, lundi 9 à 00h TU):

Changement de prévisions! Cette fois le flux est orienté au nord-ouest sur les régions méditerranéennes. Une telle configuration apporte plutôt du beau temps, avec généralement du vent. Les Pyrénées, le Massif Central et les Alpes protègent ces régions, on peut parler d'effet de fœhn à grande échelle. En revanche le nord de la France est soumis à un temps perturbé (situation peu rare). Vu "l'instabilité" des modèles, il ne fallait pas accorder une grande confiance à cette prévision et attendre les échéances suivantes pour en savoir plus...

Prévision du mercredi 4:

Nouveau changement de prévisions! Cette fois nous retrouvons une dépression centrée au nord-ouest de la France, provoquant un flux de sud-ouest sur les régions méditerranéennes. On peut à nouveau parler d'un risque de fortes pluies dans ces régions. Pourquoi déjà penser qu'elles pourront être fortes? A cette époque de l'année, la mer est encore relativement chaude, et lorsqu'une situation favorable à du mauvais temps se met en place, les fortes pluies sont fréquentes. Ce qu'il fallait avant tout retenir en l'état des prévisions du mercredi 4, c'est qu'elles restaient à confirmer. Vivement le lendemain donc pour en savoir plus...

Prévision du jeudi 5:

Confirmation de la prévision, cette fois on peut vraiment s'attendre à quelque chose dans le sud-est, mais il est encore trop tôt pour donner des précisions. Mais le risque est là et c'est ce qu'il faut retenir.

Prévision du vendredi 6:

La menace se confirme sérieusement. A partir de ce moment là, on aurait dû en entendre parler dans les bulletins météo télé et radio. Le vendredi en plus nous pouvons avoir les prévisions du dimanche suivant sur TF1, France 2.... Or sur les cartes, on ne voyait que de "simples" pluies orageuses, et aucun avertissement mettant en garde. Il n'est pas normal que les médias n'informent pas du risque pas le biais de leurs bulletins météo. Ce n'est pourtant pas dure de dire par exemple "nous surveillerons l'évolution des prévisions car à partir de dimanche de très fortes pluies ne sont pas exclues près de la Méditerranée." Et d'ensuite continuer à en parler dans les bulletins suivants! Pourtant sur le forum d'Infoclimat (site dont je suis co-fondateur), les internautes passionnés s'y attendaient... Vous pouvez consulter des archives des messages du vendredi 6 en cliquant ici ou encore ici pour un second sujet. (Remarque: les messages ne sont plus disponibles en raison d'un problème technique. En effet les 2 disques durs du serveur où était hébergé le forum ont rendu l'âme en même temps. Plusieurs milliers de messages ont alors malheureusement été perdus. Le forum est à nouveau disponible et je vous invite à le consulter régulièrement pour être informé des évolutions attendues). 

A partir du lendemain samedi 7, il était possible de faire des prévisions plus fines, de cibler plus précisément une zone, donner un timing et estimer les intensités.

A partir de là, j'ai pu récupérer pas mal de cartes du modèle MRF archivé une fois rentré à la maison (source: fnoc.navy.mil).

Prévision du samedi 7 à 00h TU pour le dimanche 8 à 12h TU:

Cette carte prévoit la situation en altitude, à 5000m environ:

On retrouve une dépression centrée sur l'Angleterre. Cette zone de basses pressions se prolonge sous la forme d'un talweg en direction du Portugal. A l'avant, de l'air chaud et humide remonte de Méditerranée, à l'arrière, de l'air froid arrive du pôle. Cet air était assez froid pour la saison et est descendu rapidement vers l'Espagne. L'air chaud ainsi bousculé a bien dû trouver place ailleurs, vers la France et l'Europe centrale. C'est un système assez dynamique qui s'est formé, favorisant le risque de phénomènes violents. Plus de précisions sur la configuration un peu plus loin dans ce dossier...

Cette autre carte prévoit la pression au sol (lignes marrons) et les précipitations (couleurs vertes à violettes). On ne s'intéressera pas aux lignes bleues et violettes.

Au sol, on voit qu'une isobare remonte de Méditerranée vers la vallée du Rhône. Cela signifie que le vent soufflera du sud vers le nord sur cette zone (basses pressions à l'ouest, hautes pressions à l'Est). En fait le vent soufflait plus souvent du sud-est car au sol, l'air a tendance à se diriger vers le centre de la dépression plutôt que de suivre exactement les isobares, contrairement en altitude où le vent appelé vent géostrophique, non influencé par la rugosité du sol, suit les isobares. Il en est de même avec les anticyclones, sauf que dans ce cas, l'air s'échappe du centre des hautes pressions vers les basses pressions (c'est pour cela que le sens de déplacement des nuages n'indiquent pas forcément le vent au sol). Enfin ce qu'il faut retenir c'est que c'est un air chaud et humide venu de la mer qui viendra déjà buter sur les Cévennes. Les premières pluies débuteront autour du golfe du Lion.

Prévision du samedi 7 à 00h TU pour le lundi 9 à 00h TU:

Les modèles prévoyaient qu'en 12h, la situation n'évoluerai quasiment pas. Un flux de sud-ouest en altitude devait se maintenir sur les Cévennes. Le centre de la dépression faisant quant à lui du surplace. 

Sur cette carte on voit un noyau de fortes pluies présent vers les Cévennes et la basse vallée du Rhône. On remarque que sur l'échelle, la couleur rouge  ne correspond pas à l'intensité maximale qui est de 70mm en 12h. Il faut savoir que même à 36h d'échéance, la prévision des pluies reste peu évidente, surtout dans des situations orageuses. Le flux en basses couches quant à lui (matérialisé je le rappelle par les isobares en marron) restera orienté au sud. Le vent est orienté au sud-ouest en altitude, au sud-est au sol. C'est ce que l'on appelle un cisaillement directionnel. Ceci favorise la formation de forts orages et notamment les orages en V dont je parlerai plus loin dans ce dossier.

Mathieu Barbery

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